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Cher membre du Club,

De 39 milliards en 2021 à 9 milliards la semaine prochaine.

Une valorisation divisée par plus de 4 en à peine 2 ans.

C’est l’apparente douloureuse réalité d’Instacart, société américaine de livraison de produits frais qui prépare son entrée en bourse, ou IPO (Initial Public Offering) le 20 septembre prochain.

Les IPOs se bousculent d’ici la fin de l’année : les semi-conducteurs ARM, les sandales Birkenstock, la biopharma Neumora, ou encore le marketing digital avec Klaviyo

La bourse raffole de ces opérations pour la nouveauté qu’elles apportent sur la cote, et la volatilité aussi : il n’est pas rare de voir des actions s’envoler ou s’écrouler dès les premières heures de cotation.

Parier sur les introductions en bourse est du reste une stratégie qui porte bien son nom : un pari. Demandez aux premiers petits porteurs d’Uber ou de WeWork ce qu’ils en pensent.

En l’occurrence, le cas d’Instacart me semble idéal pour vous donner quelques astuces permettant de suivre – ou d’écarter un projet d’IPO.

Critère 1 : profil bas mais haut potentiel

Estimée 39 milliards… et au mieux, introduite à 9,3 milliards $. On peut se dire qu’un dossier qui baisse autant qu’Instacart est pour le moins douteux.

Côté actionnaires existants (les fonds d’investissement qui ont financé la société jusqu’ici), c’est pire : ils doivent penser « on aurait pu gagner 4x plus il y a 2 ans ».

Et on aurait tout faux. Les ratios de valorisation nous aident à comprendre.

Si Instacart est introduite à 9,3 milliards, cela donnerait un ratio PER (capitalisation sur bénéfice net) d’environ 20x.

Soit un rendement de marché de 5% (l’entreprise génère 1$ de bénéfice pour l’actionnaire qui a acheté une action à 5$). Autrement dit, il faut 20 ans de bénéfices d’Instacart pour amortir votre investissement.

Ça parait beaucoup. Le bon réflexe en cas d’IPO est alors de comparer avec les petits camarades du secteur (la livraison de nourriture à domicile) qui sont déjà cotés en bourse.

Aux USA, prenons DoorDash ou DeliveryHero : aïe, impossible de calculer leur PER… elles n’ont jamais été rentables. Pas de bénéfice, pas de PER.

Si on élargit le secteur et la géographie, on peut comparer à Uber (qui a le même modèle pour les transports) ou Takeaway.com (livraison de nourriture à domicile en Europe), même constat : ces sociétés cotées en bourse n’ont jamais gagné d’argent.

Cela indique qu’Instacart sera la seule plateforme de livraison à domicile (de produits frais) cotée en bourse à être rentable, c’est-à-dire capable de générer du profit pour ses actionnaires.

À votre avis, qui le marché devrait-il logiquement préférer désormais ?

Critère 2 : et la croissance alors ?

Étudier la rentabilité ne suffit pas. Le marché veut aussi de la croissance.

En achetant une IPO (en l’occurrence celle d’Instacart), on achète aussi une perspective de croissance. À ce jour, Instacart compte 10 millions d’utilisateurs actifs.

La croissance de son chiffre d’affaires est remarquable : +24% en 2021, +39% en 2022 et +31% sur le 1er semestre 2023 par rapport au 1er semestre 2022.

Mais les arbres ne montent pas jusqu’au ciel.

Une simple règle de trois cependant permet d’évaluer le potentiel de croissance de l’entreprise. Et cela permet de comprendre comment fonctionne Instacart.

Instacart est une plateforme qui met en relations 3 parties : un client qui veut acheter (par exemple, une boîte de 6 œufs), une grande surface alimentaire à proximité du client qui a des œufs en rayon, et un livreur disposé à aller livrer les œufs du supermarché jusqu’au domicile du client.

L’achat des 6 œufs génère une transaction, disons de 3$ (l’inflation, que voulez-vous).

Le client paye 3$ à Instacart, qui reverse 2,85 $ au supermarché (commission de 5%).

Il reste 0,15 $ à Instacart. Le livreur est payé en fonction de la taille du caddie et de sa rapidité de livraison.

Multipliez cette marge par le caddie moyen (on se fait rarement livrer seulement 6 œufs) de 295 $ mensuel d’une personne seule aux USA (selon le Bureau of Statistics) et multipliez par les 10 millions de clients d’Instacart, vous obtenez le chiffre d’affaires estimé pour 2023 (2,95 milliards $).

Remarque : si mon calcul était juste, cela voudrait dire qu’un client d’Instacart ne commande qu’une seule fois pour un mois dans l’année (295 $ est un budget mensuel).

Mon calcul est erroné et c’est une bonne nouvelle. Car il est plus réaliste que les clients d’Instacart utilisent le service une dizaine de fois, et pour des petits paniers (30 $).

Ça se comprend bien : les clients de service de livraison utilisent Instacart quand il manque quelque chose à la maison au moment de préparer un repas, ou quand ils sont trop pressés pour aller faire un plein de courses.

Ce qui veut dire que si Instacart réussit à augmenter (i) son panier moyen et (ii) son nombre de clients, c’est le jackpot.

Et maintenant, la question à 1 milliard : est-ce possible ?

Instacart compte 10 millions de clients dans un pays de 330 millions d’habitants. Et fonctionne exactement comme la plateforme Uber (sauf qu’à la place d’avoir un chauffeur à la demande, on peut avoir ses courses à toute heure).

J’ai tendance à croire qu’on consomme autant de produits frais que de transports, en tout cas plus fréquemment, surtout les jeunes générations (18-35 ans).

Sans affirmer qu’Instacart pourra un jour avoir les 130 millions de clients d’Uber, tout me porte à croire que la société va connaître une croissance à 2 chiffres d’ici à 2025.

Critère 3 : la question du contexte

Entrer en bourse dans un contexte contraint est une aubaine pour les actionnaires.

Quand l’argent est rare sur les marchés (taux d’intérêt élevés, et en hausse), que l’inflation et la récession menacent… plus personne n’a envie de surpayer une action.

Et ce n’est pas pour autant que les gens arrêtent de se nourrir et donc de commander sur Instacart. Ce qui veut dire qu’à 9 milliards de valorisation, il y a davantage de potentiel de hausse que de baisse pour l’action.

Bien sûr que l’action Instacart peut baisser. Mais ça ne serait pas catastrophique.

Car imaginez qu’Instacart soit entré en bourse fin 2021, à une valorisation (délirante) de 39 milliards – la société n’était pas encore rentable.

2 mois après : guerre contre l’Ukraine + 1ère hausse des taux de la Fed. Les bourses paniquent.

Puis, de nouvelles hausses de taux tous les 3 mois. L’argent devient rare. L’inflation inquiète tout le monde.

Je ne suis pas sûr qu’Instacart vaudrait 9 milliards aujourd’hui.

On paye toujours cher l’euphorie d’une IPO dans un contexte favorable.

  • WeWork, introduite à 400$ fin 2020 vaut moins de 6$ aujourd’hui.
  • Wise, fintech introduite à 965 pence en juillet 2021 cotait à 311 pence 1 an plus tard.
  • Gitlab, plateforme d’intelligence artificielle introduite à 115 $ en octobre 2021, vaut aujourd’hui 50 $

Du danger de s’introduire dans des bourses euphoriques

Et si on se pose LA question fondamentale : « pourquoi s’introduire en bourse ? » – la réponse est théoriquement « pour lever des fonds ».

À quoi sert de lever des fonds en bourse dans un contexte de taux bas et d’enthousiasme économique ? Si les taux sont bas, autant s’adresser aux banques.

En revanche, une introduction comme celle d’Instacart dans un contexte de taux élevés a beaucoup plus de sens. Avec des taux d’intérêt bancaire à 6% aux USA, il est bien plus intéressant d’aller chercher l’argent en Bourse.

Qu’il s’agisse d’Instacart, de Birkenstock, Arm ou des autres IPOs à venir (Ampère, la division électrique de Renault en 2024), je crois qu’il est bien plus sain pour une société de s’introduire en bourse dans un marché difficile.

Les marchés n’ayant pas de sentiments, cela vous permet de faire du tri : sur la rentabilité, sur la croissance, et sur l’environnement général.

Dorénavant, vous pourrez passer le filtre de ces 3 critères avant de foncer sur la prochaine IPO !

Visez juste et placez bien,

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