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Cher membre du Club,

Sacré Bernard Tapie !

2 ans après son décès, il continue à déchaîner les passions – dernièrement avec la série TV sur Netflix qui lui est consacrée.

A son sujet l’opinion est saisissante :

  • En public, il est de bon goût de le détester. La prison, les magouilles et scandales politico-financiers, les plans sociaux, les dettes colossales laissées à sa famille…
  • En privé, beaucoup ont de la sympathie pour lui. Comme s’il incarnait l’esprit gaulois, frondeur et fonceur cher à bien des Français.

L’air roublard de sa marionnette des Guignols de l’Info lui allait bien. Et cette période des Guignols me rappelle le concept des « combines à Nanard » associé au personnage.

Vous savez, le type qui a toujours une solution – efficace et douteuse en même temps.

Et comment douter de son efficacité ? Pédales Look, piles Wonder, balances Terraillon, raquettes de tennis Donnay et l’équipementier Adidas sont des investissements qui ont rapporté plus de 2,5 milliards de francs au groupe Bernard Tapie.

Si on se penche sur ce qui nous intéresse, à savoir son seul parcours d’homme d’affaires et d’investisseur, Bernard Tapie nous laisse en héritage 3 « combines »parfaitement légales, rassurez-vous.

Première combine : on gagne toujours à faire le bilan

« Mettre la main sur les actifs », voilà une formule à la Tapie. Et je vous invite à raisonner comme ça quand vous achetez les actions d’une société en bourse.

Allez chercher le dernier bilan de la société et imposez-vous comme un patron : qu’est-ce que j’achète aujourd’hui ? Où sera cette société dans 1 an ? Dans 5 ans ?

Bernard Tapie est connu pour avoir acheté des entreprises au bord de la faillite pour un franc symbolique. Look et Donnay sont des sociétés qui lui ont coûté 2 francs, et qu’il a revendues 260 millions pour l’une et 100 millions pour l’autre.

Alors bien sûr pour 1 franc, on achète aussi le passif d’une entreprise c’est-à-dire la responsabilité des dettes : fournisseurs à payer, loyers en souffrance, banques à rembourser, impôts et charges sociales à régler au Trésor Public.

Mais pourquoi racheter une société criblée de dettes ? Bernard Tapie se croyait-il plus malin ou meilleur gestionnaire que les autres ? Peut-être, mais il y a autre chose.

Il faut se remettre dans le contexte. Dans les années 1980, sans internet, pas de transparence sur l’information financière. Soit on faisait confiance (risqué), le mieux étant de mener soi-même sa diligence.

Autrement dit, Bernard Tapie a très vite appris à éplucher efficacement le bilan d’une société pour identifier et valoriser les actifs. Il n’avait pas son pareil pour voir dans les chiffres ce que d’autres ne voyaient pas.

Le B-A BA du bilan

Vous devriez faire pareil, même en actionnaire minoritaire.

Car des trésors se trouvent souvent dans le bilan, qui va vous permettre d’identifier là où est la valeur de la société.

  • À l’actif, tout ce qui appartient aux actionnaires: les immeubles, usines, brevets, marques, les stocks, les investissements et les comptes bancaires.
  • Les plus gros montants indiquent les postes clés de la valeur d’une entreprise: stocks et créances clients pour la grande distribution, brevets pour une société « tech », immeubles pour une foncière, etc.

Quand Tapie a repris Wonder, il a vu à l’actif une marque forte appréciée des Français (37% de part de marché) sur laquelle il pourrait compter. Il a aussi identifié les activités destinées au marché militaire qu’il pourrait très vite vendre pour récupérer de l’argent et rembourser des dettes.

  • Au passif, l’argent à disposition de la société: capital investi par les actionnaires, dettes bancaires / fiscales / sociales, délais de paiement accordés par les fournisseurs, et bénéfices accumulés non distribués (trésor de guerre)
  • Les différents postes de passif indiquent à qui l’entreprise doit l’argent dont elle dispose.

Dans le cas de Wonder, ça devait être assez simple : une montagne de dettes et très peu de bénéfices cumulés. Mais ça il le savait déjà en rachetant l’entreprise à la barre du tribunal.

Lire le bilan pour dénicher des pépites, une technique très appréciée d’un autre Bernard : Arnault cette fois-ci.

2 styles de Bernard mais une même méthode

Quand il a racheté le groupe Boussac sur le déclin dans les années 80, Bernard Arnault n’avait cure des multiples enseignes sans lien entre elles (couches-culottes Peaudouce, Conforama, journal L’Aurore). Il voulait « mettre la main » sur 3 joyaux bradés : la maison de couture et les parfums Christian Dior, et le Bon Marché.

Et il l’a fait, le reste fait partie de l’histoire. Mais l’histoire oublie de préciser que le rival de Bernard Arnault pour le rachat de Boussac n’était autre que… Bernard Tapie !

Deuxième combine : payer le prix de la peine

« Est-ce que ça en vaut la peine ? »

C’est parce que Bernard Tapie s’est posé cette question qu’il a passé son tour sur certains dossiers.

Et pour y répondre, vous devrez éplucher un autre document : le compte de résultat.

Pas besoin d’être analyste financier pour lire entre ses lignes.

Regardez simplement 3 éléments : le chiffre d’affaires, la marge d’exploitation (ou résultat d’exploitation, ou EBITDA), et le résultat net après impôts.

Et faites de simples divisions. Récemment, je l’ai fait avec Carrefour. Voilà une société qui pourrait bien tirer profit des déboires de Casino.

Regardez les chiffres :

Source : Google Finance

83 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2022 ! C’est plus que LVMH.

Mais le résultat d’exploitation – ce qui reste une fois qu’on a payé ses achats, ses charges et frais opérationnels… n’est « que » de 3,7 milliards. Soit une marge de 4,4%.

Et une fois que Carrefour a remboursé ses intérêts et payé ses impôts, il reste 1,35 milliard de bénéfice net pour les actionnaires. Soit une marge de profit de 1,6%.

Et pour moi, ça ne vaut pas la peine. Une société qui ne marge qu’à 1 euro et 60 centimes quand elle encaisse 100 €, c’est trop peu.

C’est trop peu : 1,35 milliard de bénéfice à partager entre 1 milliard et 855 millions d’actions, cela veut dire 72 centimes de dividendes au maximum, et en théorie car en pratique une société conserve toujours une part de son trésor de guerre.

À 16 € l’action, cela veut dire que le meilleur rendement que vous pouvez attendre est de… 4,5% !

C’est trop peu : 1,35 milliard, cela ne laisse pas assez de marge de manœuvre pour investir et améliorer la rentabilité, ou faire face à un aléa de marché.

Bernard Tapie était connu pour aimer les sociétés qui avaient « du gras » : c’est-à-dire un potentiel de rentabilité élevé, mais dans une situation un peu trop endormie et pas vraiment optimisée.

Il était aussi connu pour les « restructurer » – parfois au bulldozer. Pour la fortune des actionnaires.

De votre côté, dites-vous qu’une entreprise avec une marge nette à 2 chiffres sera toujours plus généreuse avec ses actionnaires.

Troisième combine : un leader hors du sérail

Le monde des affaires aurait beaucoup à gagner avec des managers « à la Tapie » – et je ne parle ici que de management.

Les patrons « outsiders » sont souvent d’excellents managers à l’échelle de milliers de salariés.

J’ai beaucoup d’estime pour les grands corps administratifs et techniques de l’Etat : X-Mines, X-Ponts, Inspection des Finances, Conseil d’Etat ou Cour des Comptes… brillants sont les cerveaux diplômés des formations d’élite.

Mais d’excellents techniciens font-ils de bons patrons ?

J’entends par là, des leaders capables d’intensifier l’engagement des collaborateurs. Réussir à développer l’estime de soi des salariés à travers un projet qui dépasse largement les capacités de chacun – c’est une capacité rare, et inarrêtable.

Tapie, fils d’ouvrier chauffagiste n’avait rien à perdre. Pas de réputation, pas d’entre-soi ni de réseau de technocrate. Venu de nulle part, il avait la liberté de foncer.

« Sa priorité n’est pas de se faire aimer mais de les pousser à découvrir toutes leurs capacités », en disait le champion cycliste Bernard Hinault. « Il était capable de s’adresser à tous ses collaborateurs à tous les échelons », ajoute Didier Deschamps (qu’on ne présente plus).

On peut être major de l’X, passé par le corps des Mines, énarque et inspecteur des finances… et faire s’effondrer le groupe Vivendi – ce qu’a fait Jean-Marie Messier en 2002.

Ça ne veut pas dire que Messier est incompétent, loin de là : il a remonté ensuite une puissante banque d’affaires éponyme. Mais à force de cumuler les cercles de pouvoir, on est surtout un homme de réseaux – et moins un meneur d’hommes.

Je vous recommande donc d’évaluer le pedigree des patrons de sociétés cotées, au regard de leur parcours mais aussi de ce que veulent les salariés.

Les patrons préférés, qui inspirent le plus les Français (d’après le classement Forbes) sont :

  • Alain Afflelou – opticien de formation et entrepreneur
  • Xavier Niel – niveau bac, entrepreneur « pirate » des télécoms (inventeur de la « box »)
  • Vincent Bolloré – fac de droit, repreneur et redresseur des papeteries OCB avant de construire un groupe mondial
  • Martin Bouygues – niveau bac, qui a pris la succession du groupe familial en sachant s’imposer par rapport à son frère aîné, héritier désigné et ingénieur centralien
  • Emmanuel Faber – HEC, ancien patron de Danone qui s’est fait débarquer après avoir renforcé l’engagement des salariés : il a fait de Danone une entreprise à mission, il s’est élevé contre certains lobbies agroalimentaires en voulant produire plus local, etc.

Ce critère de leadership est plus subtil que les autres – et pas toujours simple à vérifier.

Mais en tant qu’actionnaire, que préférons-nous : un patron qui vient avec ses solutions, ou un patron qui fait naître les solutions au sein de ses équipes ?

Malgré tous ses défauts, Bernard Tapie a répondu à la question !

Je vous reparle très vite,